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Il est des histoires dans la vie de tous les jours qui vous animent d’une grande générosité ; c’est ainsi que François m’est apparu tout au long de notre présence à l’écluse de VIC, une personne d’un grand cœur, d’une sensibilité sans égale, selon moi, et d’un courage qui lui ressemblait bien.
C’était après cette sale guerre de 1939-45, je me retrouvais « pensionnaire » à l’écluse de VIC dont ma mère devenait l’éclusière, et le sera pendant dix-neuf ans en compagnie de mon frère, de moi-même, devenus orphelins de guerre, et de tonton François que ma mère avait épousé trois ans après être devenue veuve de guerre. Alors commença cette vie commune autour de l’écluse de VIC et du canal du Midi, puisque tonton était embauché en tant qu’employé des services des Canaux du Midi, chargé de l’entretien, cantonnier sur les rives de ce canal donc.
C’est moi, André ! Il semblerait que j’étais heureux de porter ce tablier d’écolier, que nous gardions parfois tous, même après l’école.
Le travail ne manquait pas à cette époque, et mon beau-père, surtout lorsque les jours sont plus longs, à la belle période, ne rechignait pas, après sa journée de cantonnier, à aider ma mère dès qu’une éclusée était à faire, à s’occuper de notre jardin, lequel sera multiplié par trois grâce à ce courageux de tonton sans lequel nous, enfants, n’aurions pas été l’objet d’attentions de toutes sortes, ma mère ayant la charge de s’occuper des passages des barques, un travail assez pénible pour une femme (je rappelle qu’à cette époque les manœuvres étaient, du début jusqu’à la fin, manuelles), et de nous deux quand son travail fini le lui permettait.
Une journée de travail de François mon tonton, c’était de partir tôt le matin rejoindre à vélo une équipe de cantonniers, par exemple, se trouvant au Port Saint-Sauveur à Toulouse distant d’une dizaine de kilomètres, versant aval du canal, ou bien en prenant le véhicule des Canaux du Midi avec, là-aussi, une équipe, pour la journée, qui était chargée, avec des agents « acrobates » de l’élagage des platanes ; la veille, ma mère lui avait préparé le panier (mon beau-père était un homme costaud, dur au labeur, donc il fallait un panier consistant pour le midi).
La journée plus commune se passait dans les limites d’un secteur désigné, soit dans le bief de VIC à l’écluse de Castanet, 1 kilomètre 700. Il devait manier la faux pour couper les herbes envahissantes, carrément dans l’eau du canal en s’aidant d’une petite embarcation appelée « sapinette » et avec laquelle nous, enfants, nous jouions parfois le dimanche, bien que ce soit défendu et surtout dangereux ; j’en profite pour dire que, souvent, les cantonniers épargnaient les iris jaunes qui fleurissent le long du canal.
Si le temps était mauvais, les cantonniers venaient s’abriter dans l’ancienne écurie que l’on trouve à chaque écluse, en attendant la fin de la pluie ; ils en profitaient pour affûter leur faux. Moi, j’aimais bien y aller pour me retrouver parmi eux, au moment des vacances scolaires, les jours où ils mangeaient à l’abri : ils m’avaient appelé « le pharmacien » à cause du tablier gris d’écolier que je portais.
Lors des congés de tonton (c’était comme cela que mon frère et moi l’appelions, était-ce une pratique dans la région, je ne sais pas !), ceux-ci avaient, d’avance, leurs occupations car les fermiers des alentours le demandaient soit pour les moissons, soit pour les vendanges et d’autres choses (il était très sollicité, mais il assurait sans fatigue apparente). Chez nos cousins dans l’Aude, il y allait pour une bonne semaine, la propriété, assez étendue pour cette région, avait de quoi l’occuper : il ne s’en plaignait pas (je ne l’ai jamais vu se plaindre, d’ailleurs). Tout ceci nous apportait du beurre dans les épinards, dirait-on aujourd’hui, il fallait bien se débrouiller.
François, à la retraite, prenait une « bonne suée », après une matinée passée chez lui, dans le jardin
Enfin, son dada c’était le jardin, les jardins dois-je dire, puisqu’il les avait « fabriqués » au fil des ans, et l’été après le repas du soir il s’en occupait sous toutes les formes : binages, tailles de quelques arbres fruitiers, arrosages au moyen d’une pompe à bras que j’actionnais de temps en temps pour prendre l’eau du canal, bien sûr, les semis étant assurés par ma mère dès qu’elle avait fini à l’intérieur de la maison et qu’elle nous avait préparés avant d’aller au lit un peu plus tard.
Il y avait, chez cet homme, plutôt chez tonton, mais oui, une tendresse vis-à-vis de mon frère et moi, d’attentions, et il nous éduquait comme notre père, nous apprenait à jouer aux cartes, à pêcher, évidemment, le canal à portée de main, à ranger le bois qu’il préparait pour l’hiver, ce bois venant principalement des chênes qu’il y avait aussi le long du canal et qu’il avait transformés en bûches, il nous montrait plein de choses que sûrement tout père devait faire, et malgré ses grandes mains plutôt rugueuses, son regard doux effaçait tout ça ; il nous avait montré comment il fallait se servir des vannes à crémaillère pour emplir ou vider le bassin de l’écluse et malgré les bêtises que nous pouvions faire, rares sont les réprimandes, encore moins les punitions, qu’il nous adressait, ma mère s’en chargeait !
Et puis voilà qu’un beau jour, il devint père d’Odette, qui deviendra donc notre sœur, sa fille à qui je ne l’ai jamais vu lui adresser quelque remontrance que ce soit, c’était François, notre tonton.
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Un jour, j’irai à l’écluse de Vic. Au loin, j’y verrai votre « Tonton » François avec sa faux, j’y verrai votre mère s’affairant au passage des barques. Je vous y verrai, vous et votre frère, les « pharmaciens » en herbe, intrépides et fougueux…
Merci André de nous avoir fait partager cette belle tranche de vie ! On m’a dit que le Canal du Midi était intemporel… Votre témoignage y contribue…
Votre témoignage André fait vivre le canal et renaître la manière simple avec laquelle beaucoup de gens ont vécu avant nous. Continuez s’il vous plaît à décrire vos souvenirs dans tous leurs aspects, ça rechauffe le coeur. Bravo!
Je suis né en 1963 à l’écluse de Puicheric où ma mère m’a mis au monde. Votre récit fait remonter tous mes souvenirs d’enfance passés à l’écluse. Ma mère était éclusière et à laissé la place à mon père qui était sur le cantonnement après ma naissance. Le parcours de mes parents ressemble à votre récit.
Le canal du midi que de bons souvenirs !!!
J’ai pris des photos de cette écluse lors de ma ballade à vélo en 2012. Je vous invite à la découvrir ici : L’écluse de Puichéric
Une petite épicerie-magasin-souvenirs jouxte le bâtiment éclusier, complété par quelques tables et chaises sortis à la belle saison. J’ai eu tellement soif ce jour là, que j’ai « descendu » pratiquement d’une seule traite une bouteille de jus d’orange, assis sous l’ombre d’un arbre.
C’est ici que commence véritablement le climat méditerranéen sur le parcours du canal.
Je retournerai séjourner sur les bords du canal la semaine 34 et/ou 35 pour y peindre des aquarelles et prendre de nouvelles photos. En mémoire des témoignages d’André et de Didier, je marquerai un arrêt aux écluses de Vic et de Puichéric distantes l’une de l’autre de plus d’une centaine de km.
Très beau texte, des souvenirs vrais qui nous touchent tout à fait ! Enfants, en ce qui me concerne, nous étions de « l’autre côté », dans le Tarn, le département qui « fournissait l’eau » comme disait mon père. Aussi, le canal était d’autant plus important : il nous arrivait de nous y arrêter sur les berges pour voir passer les péniches (oui, tout petit, je me souviens… lorsque nous « allions à la mer »), et les écluses nous fascinaient. Nous regardions travailler les éclusiers… C’était l’occasion pour mon père de nous parler de l’œuvre magnifique de Riquet. Alors, imaginez combien votre article évoque de choses superbes, et combien j’ai plaisir à revenir régulièrement sur ce blog, même si je laisse rarement un commentaire, mais là, je ne pouvais passer sans laisser un petit signe de reconnaissance et d’amitié !
En te lisant, il me revient en mémoire que dans les années 90, des médecins ont découvert ce qu’ils ont appelé le « French paradox », c’est-à-dire que la population du Sud-Ouest de la France était étonnamment peu touchée par les maladies cardio-vasculaires, malgré un taux plutôt élevé de cholestérol. On a évoqué le rôle du vin rouge, du bien-vivre, etc. Certes, mais quand je te lis, je crois que ces chercheurs sont passés à côté du rôle essentiel de tous les Tontons, Tatas, pères, mères courage qui bêchaient leur potager le soir après leur travail. Ils ont permis, peut-être sans le savoir, aux enfants d’après-guerre de manger beaucoup des fruits et légumes sains et variés de la région, malgré le manque de ressources, et d’avoir finalement un vrai « régime santé », comme on dirait aujourd’hui. Cela s’appelait juste « la débrouille » en ce temps-là. C’est peut-être un secret de la longévité des séniors actuels du Midi ?
Bonjour,
J’ai surement croisé André, François et Didier…
Tout simplement parce que je suis né dans un bateau en bois, l’ARC-EN-CIEL. Donc vous comprendrez que les manivelles des écluses d’Arles à Castets, j’en ai tournées quelques unes!
J’apprécie le travail des historiens qui étudient les archives de la période Riquet-Vauban, mais je trouve qu’il est urgent de faire parler les personnes qui ont connue la vie active du canal.
Merci à André pour son travail de mémoire.
Et si vous voulez savoir à quoi ressemblait la vie des barquiers vous pouvez lire les 2 cahiers du Musée National de la Batellerie qui racontent la vie….de mon père (titre Les Barquiers du Midi n°69 et 70).
Louis
De très beaux témoignages d’ « acteurs » du Canal du Midi, encore vivants de nos jour, du temps ou il existait une activité de transport des marchandises. Vous m’avez charmée.
Intéressant témoignage que celui d’André. Une époque malheureusement révolue ou il existait une certaine convivialité.
Je suis complètement charmée par ce que je viens de lire. Un témoignage de la vie des acteurs économiques du Canal. Quand je vois que certaines écluses sont automatisées … Je me dis que peut-être un jour, elles ne serviront plus, tout simplement par ce qu’il n’y aura plus personne pour pouvoir s’offrir financièrement le loisir de naviguer, puisqu’il n’y aura plus de travail. Et puis, que signifie franchir une écluse automatisée !!!??? Rien, puisqu’il n’y aura plus de convivialité.
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